Elisabeth Frering
Elisabeth FRERING Née le 25 décembre 1955 à Argenteuil Diplômée de l’Ecole Artes Aplicadas y Oficios Artisticos (Valencia, Espagne) Vit et travaille à Strasbourg Un monde de formes Un monde parfait. Tout est équilibre. Tangible. Eau limpide. Ligne d’horizon diaphane. La main de l’artiste ne tremble pas. La concentration est extrême. Le territoire est délimité. La destination est connue. Mais il y a bifurcation, hésitation, un moment suspendu. L’itinéraire n’est jamais flou, l’acte créatif est certain, et le cheminement devient autre, différent, empirique. Des instants suspendus, une relation au monde incongrue, surprenante qui dévore la pensée et les émotions. L’histoire de l’art est parcourue de conventions transgressées, de repères désaxés, de scènes champêtres malmenées, de dieux destitués, de mythes assassinés. Piero di Cosimo intègre dans de beaux paysages un bestiaire venu de nulle part. Mikhaïl Aleksandrovitch Vroubel destitue le dieu Pan de toute puissance. Dante Gabriel Rossetti enveloppe Monna Vanna d’une chevelure-fourrure protectrice. Joël Peter Witkind brutalise nos perceptions. A la croisée des chemins, l’artiste entre trop plein et vide, trompe-l’œil et vanité cherche l’improbable équilibre. De cette quête naît un monde de formes qui captive. A chaque regard de nouvelles strates se superposent, gagnant en épaisseur et en danger. La balance n’atteint jamais un point d’équilibre parfait. Ainsi, les subtiles oscillations des peintures et dessins d’Elisabeth Fréring nous interrogent brutalement derrière l’aspect calme et serein de la représentation. La violence du labyrinthe Cette stratification que suggèrent les dessins et peintures représente un territoire pulsionnel où ne parle plus qu’une sorte d’instinct : brutal, cathartique, élémentaire. Le dépeçage a lieu au-delà des apparences. Dans les méandres de la pensée, des émotions et bien au-delà au creuset de l’individu, au niveau des sensations. Alors la mise à mort de la conscience devient jubilatoire. Le corps n’est plus déjà qu’une partie d’un corps. La bête qui sommeillait s’est réveillée, et la vacuité de l’univers ou sa profondeur devient un plein, un trop plein. Jusqu’à quelles limites, l’horizon peut-il être repoussé pour rester cette ligne certaine ? Effet d’optique rassurant qui n’attend plus que sa transfiguration en territoire grégaire. A l’extrême limite de cette orgie hallucinatoire, il ne reste plus qu’une charogne en état de décomposition avancée. Ce n’est plus une réalité tangible. Le charognard guidant sa meute de loups, rats, ours, a définitivement réalisé la conquête de son territoire. Un terrain de jeu illimité. L’odeur est acre, le tumulte féroce, les mains atrophiées, le sexe ouvert, les pensées féroces, les émotions outragées, la chaire est mortelle. A l’extrême fin, dans les confins d’un monde violenté, méconnaissable, ahuri, subsiste une forme de rédemption. Dans le miroir, il est trop tard pour fuir. Le bruit et l’abîme ont ruiné les illusions, il reste la respiration sourde de la matière qui transpire, suinte, tombe en lambeaux. Celui qui regarde et fixe le dessin est maintenant de l’autre côté du miroir. Point de cruauté, juste la part « cachée » de toute réalité. L’accomplissement L’œuvre accomplit son destin. Elle restitue les dimensions desquelles personne ne peut s’échapper pleinement en réalité. Dans la confrontation aux dessins et aux tableaux, celui qui regarde ne ressort pas indemne. Fantasmes, obsessions, peurs irrationnelles, conquêtes vaniteuses, fleurs iridescentes prêtes à avaler une proie, les cartes sont abattues. Il n’y a pas de retour en arrière. Plus le regard se nourrit de ces expressions, plus l’être est dépecé. Plus l’être se réalise. L’élégance du paradoxe traduit bien la tentation mise en scène ici. Gianni Cariani
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